Loi sécurité globale, réponse de Frédérique Dumas (députée)
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J'ai envoyé le mail que la LDH faisait circuler aux député.e.s de ma circo, et voici la réponse que j'ai eu de Frédérique Dumas, député du groupe Libertés et Territoires.
Un petit TL;PL :
- Elle ne s'oppose pas à l'utilisation des drônes mais préfère un encadrement et une restriction sur la portée : interdiction de reconnaissance faciale, interdiction de filmer des lieux privés, justification sur la stricte nécessité et proportionnalité par les FDO pour la surveillance de la voie publique.
- S'agissant des caméras mobiles : interdiction de diffusion des images hors d'un cadre judiciaire, une diffusion éventuelle "au regard des critères de transparence et d'objectivité par une autorité à l'indépendance renforcée", pour ce faire appel à la création d'une autorité indépendante telle que l'IGPN anglaise et en attendant qu'elle existe compétence attribuée à l'IGPN ou IGGN, suppression de la transmission en temps réel des images.
- Sur la pénalisation de la diffusion des images : suppression de la mesure.
Bonjour,
Vous m'avez interpellée concernant l'examen de la proposition de loi « Sécurité globale ».
Je me suis personnellement positionnée contre certaines de ses dispositions, et j'ai également cosigné – avec mon groupe parlementaire, le groupe « Libertés et Territoires » - de nombreux amendements afin de réduire la portée de ce texte.
Comme vous me le rappelez à juste titre, ce texte prévoit notamment d’étendre aux polices municipales des compétences de la police nationale.
Notre groupe parlementaire a souhaité encadrer cette possibilité à travers l'amendement n°1188 qu'il soit instauré un double mécanisme de contrôle lorsque cette compétence est entendue aux polices municipales : un contrôle par l’inspection générale de l’administration, dont le contrôle sera défini par décret pris en Conseil d’État, selon des modalités assimilables à celles mises en place pour la police nationale et la gendarmerie nationale. De plus, ce même amendement prévoit un contrôle par la voie judiciaire selon les modalités prévues par le code de procédure pénale prévoyant que les actes des polices municipales agissant comme officier de police judiciaire soient placés sous contrôle du procureur de la République.
De plus, vous m'interpellez sur le fait que ce texte de loi organise une privatisation de la police en contradiction flagrante avec les normes constitutionnelles en déléguant aux agents privés de sécurité des pouvoirs réservés à la police judiciaire.
A ce titre, avec mon groupe, nous avons déposé l'amendement n°1198 qui prévoit que les entreprises recourant à la sous-traitance, publient un avis d’attribution dans la même publication que celle choisie pour l'avis d'appel à la concurrence, dans les 30 jours suivant la signature du marché. Cet avis doit faire mention de l'identité du donneur d'ordre à l'origine de l'émission de l'avis d'appel à concurrence et de l'identité de l'ensemble des entreprises s'étant vues confier ou sous-traiter la prestation de sécurité sur lequel il porte.
Concernant maintenant le fait que cette PPL prévoit d’instaurer une surveillance de l’espace public, en autorisant l’État à utiliser des drones avec caméras.
Nous avons également souhaité restreindre à plusieurs égards la portée de cette disposition. Nous avons donc déposé plusieurs amendements concernant les drônes :
- L'amendement n°1210 qui prévoit que le traitement des images pris par ces drônes ne puissent s'exercer avec des logiciels de reconnaissance faciale.
- L'amendement 1164 qui a pour but de renforcer la protection des libertés individuelles en élargissant le champ des espaces ne pouvant être filmés par des caméras aéroportées à l’ensemble des immeubles et tous les lieux privatifs. En effet, selon la Défenseure des droits « cette proposition de loi soulève des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée".
- L'amendement n°1212 qui permet d'encadrer au maximum l'utilisation de drones filmant la voie publique en demandant aux forces de l'ordre d'en justifier la stricte nécessité et proportionnalité au regard des objectifs et moyens de contrôle existants.
Sur l'article 21 de la présente proposition de loi qui permettrait l’utilisation immédiate des images des « caméras mobiles » portées par les policiers et leur analyse automatisée pour reconnaître en temps réel l’identité de tous les manifestants.
J'ai déposé deux amendements sur cette disposition :
- L'amendement 1205 qui prévoit que l’utilisation des caméras individuelles puisse se faire de manière apaisée. En effet, il convient que les forces de l’ordre ne se substituent pas aux juges, et que la diffusion de ces images d’interventions ne puisse se faire en dehors de tout cadre d’une procédure judiciaire.
- L'amendement 1209 qui propose que l’utilisation des caméras individuelles puisse se faire de manière apaisée, il convient que la diffusion de ces images d’interventions puisse se faire au regard de critères de transparence et d’objectivité par une autorité à l’indépendance renforcée. A travers cet amendement j’appelle à la création d’une autorité indépendante sur le modèle de l’Independent Office for Police Conduct britannique, la version anglaise de l’IGPN, qui fait figure d’exemple pour sa transparence, ses garanties d’indépendance, et sa remise en question permanente. En l’absence d’une telle autorité que nous ne pouvons créer par amendement, il convient donc que cette diffusion des images revienne à des agents de l’Inspection générale de la police nationale ou de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, dont l’indépendance statutaire, l’évaluation et le contrôle devront être renforcées par décret pris en Conseil d’Etat.
- L’amendement n°1207 que j’ai cosigné et qui supprime la transmission en temps réel des images captées par les « caméras piétons ». Nous considérons en effet que ce dispositif est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée comme l’a d’ailleurs exprimé le Défenseur des Droits dans son avis du 3 novembre 2020.
Enfin vous m'alertez sur fait que ce texte prévoit en effet la pénalisation de la diffusion d’images de policiers ou de gendarmes agissant dans le cadre de leurs missions d’ordre public, portant atteinte à la nécessaire transparence de ces opérations.
Sur cette disposition située à l'article 24, je propose tout simplement la suppression de celle-ci via l'amendement n°1213. En effet le dispositif proposé dans cet article est à la fois inefficient et potentiellement liberticide. Il rend la protection des policiers plus complexe et plus aléatoire tout en posant des problèmes d’ordre constitutionnel multiples. Il affaiblit celles et ceux qu’il prétend protéger tout en remettant en cause des principes fondamentaux : atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, à la liberté d’expression et d’opinion, et à la liberté d’association et de réunion pacifique. Il y a donc au moins 5 raisons de demander la suppression de cet article de loi :
- Premièrement, interdire l’identification des forces de l’ordre dans les vidéos diffusées dans le but très large « qu’il soit porté atteinte à leur intégrité physique ou psychique » présente le risque que, dans les faits, la diffusion de vidéos exposant des cas de pratiques illégales par la police soit rendue impossible ou extrêmement difficile. La transmission en direct (qui rend inopérante la distinction entre la captation et la diffusion) des interventions policières serait drastiquement découragée par le risque juridique encouru, et les plateformes elles-mêmes seraient enclines à censurer des contenus pour s’éviter des poursuites. Les principaux syndicats de journalistes, les fédérations internationale et européenne de la profession ainsi que la Ligue des droits de l’homme (LDH) estiment que ce nouveau délit « permettrait d’interpeller tout journaliste qui filme en direct une opération de police » : ce n’est qu’a posteriori qu’un tribunal « sera à même de déterminer si l’intention malveillante est établie », soulignent-ils. Or, le droit de filmer la police relève de la liberté d’expression et du droit à l’information, garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou la convention européenne des droits de l’homme. Dans le contexte des manifestations, par exemple, ce droit est rappelé par experts des Nations Unies ou dans les lignes directrices du BIDDH/OSCE sur la liberté de réunion pacifique (« Il ne faut pas empêcher les participants et les tiers de photographier ou de filmer l’opération de police »).
- Deuxièmement, le critère d’intentionnalité qui est mis en avant, à savoir « qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique » de l’agent est « imprécis » comme l’a souligné la défenseure des droits et pose problème au regard du principe constitutionnel de légalité de délit et des peines qui dispose qu’on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair. Ainsi, la notion « d’intégrité psychique » notamment, est particulièrement large. Au regard de ces éléments, caractériser l’infraction sera particulièrement complexe. Il faudra tout d’abord rapporter la preuve du caractère malveillant de la diffusion en l’espèce, et ensuite qu’elle ait eu pour conséquence de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique du policier ou du gendarme. Dans ce dernier cas, ce sera encore plus difficile à rapporter car pour espérer pouvoir la caractériser à minima il faudra réaliser par réquisition judiciaire une expertise psychologique, qui impliqueront également des frais d’expertise importants, sans certitude de caractérisation pleine et entière.
- Troisièmement cet article n’est pas nécessaire, car il ne sera pas en mesure de garantir davantage la sécurité des policiers et des gendarmes, bien au contraire. En effet, des infractions pour réprimer de tels faits existent déjà et les sanctionnent même plus sévèrement. Proférer une menace de commettre un crime ou un délit à l’égard d’un policier, par exemple une menace de violences, de mort ou d’atteinte aux biens dangereuses pour les personnes, est ainsi déjà couvert par l’article 433 3 du code pénal. La peine encourue est de 3 ans d’emprisonnement et de 45 00 euros d’amende. S’il existe une menace de mort la peine encourue est de 5 ans et de 75 000 euros d’amende.
- Quatrièmement, cet article est inadapté à la lutte contre les infractions visées, puisqu’il n’aura pas pour conséquence de pouvoir supprimer un très grand nombre de contenus visés. Il s’agit notamment des contenus qui seraient diffusés ou hébergés sur des réseaux ou des serveurs en ligne installés à l’étranger et sur lesquels la juridiction française n’aurait que peu de prise.
- Cinquièmement cet article n’est pas proportionné, puisqu’avec une disposition rédigée en des termes si imprécis tels que relevés plus haut, l’on se trouve fondé à craindre qu’elle soit appliquée de manière trop large, voire indifférenciée, à des personnes n’ayant aucune intention malveillante, qui n’ont dès lors aucune raison d’être privées de leur liberté d’expression.
Nous sommes ainsi dans un cas typique de probable censure constitutionnelle. La limitation de la liberté d’expression, garantie constitutionnellement, n’est légalement admise que si elle est strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi, compte tenu notamment des autres moyens à la disposition des autorités pour prévenir et sanctionner les infractions ciblées. Ajoutons à cela que la rédaction de l’article contrevient manifestement au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines mentionné plus haut ainsi qu’au principe de clarté de la loi. Pour toutes ces raisons, je demande la suppression de cet article.
Comme vous pouvez le constater, je partage comme vous de grandes réserves vis à vis de ce texte et j'espère que nos demandes pour rééquilibrer ce texte seront entendues par le Gouvernement.
Cordialement,
Frédérique DUMAS
Députée des Hauts-de-Seine
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merci pour le retour !
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@Rostat a dit dans Loi sécurité globale, réponse de Frédérique Dumas (députée) :
Elle ne s'oppose pas à l'utilisation des drônes mais préfère un encadrement et une restriction sur la portée : interdiction de reconnaissance faciale, interdiction de filmer des lieux privés, justification sur la stricte nécessité et proportionnalité par les FDO pour la surveillance de la voie publique.
Yes c'est trop bien d'aller interpeller les députées. Bien joué!