Article Libé « surenchère des candidats autour de l’enjeu sécuritaire »
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Chaque semaine, «Libé Marseille» soumet à tous les candidats un scénario fiction concernant un thème important de la campagne des municipales. Aujourd’hui, la sécurité.
Madame Y, 68 ans, vit dans le centre-ville de Marseille. Le soir, quand elle sort promener son chien, elle n’est pas très rassurée car dans sa rue, l’éclairage public dysfonctionne une fois sur deux. La semaine dernière, elle a voulu se rendre au parc en métro, mais en sortant de la rame, elle s’est aperçue qu’on lui avait volé son portefeuille pendant le trajet. Enfin, depuis que sa voisine a été cambriolée dimanche en plein jour, elle a peur d’aller se promener trop longtemps. Madame Y s’interroge : que doit-elle faire pour passer une retraite sereine, dans une ville qu’elle affectionne ?
Leurs solutionsLes principaux candidats ont accepté de jouer le jeu, excepté Martine Vassal (LR). Parmi ceux qui ont répondu, tous tombent d’accord sur une présence plus nombreuse de la police municipale, avec embauche d’agents supplémentaires, présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre, assure Samia Ghali (ex-PS). Ils s’accordent aussi sur un redéploiement plus efficace par secteur. «Principalement dans ceux où l’on ne voit pas de police municipale actuellement», précise Michèle Rubirola pour le Printemps marseillais (union des gauches). «Même si la sécurité publique relève du régalien, le maire peut et doit agir», insiste Bruno Gilles (dissident LR), qui souhaite une meilleure coordination avec la police nationale. De plus, «la vidéoprotection permettra de rassurer madame Y et l’incitera à rester vivre dans la ville qu’elle aime», précise-t-il.
Stéphane Ravier (RN), lui, assure que notre sexagénaire pourra voyager en toute tranquillité grâce à sa «brigade des transports». Le frontiste, comme Ghali, enverrait aussi ses «Voisins vigilants», l’association avec qui ils veulent signer une convention, pour jeter un coup d’œil à l’appartement de madame Y quand elle ira se promener le dimanche, et donner l’alerte si besoin. Et si elle se fait menacer ou agresser dans la rue, elle pourra toujours le signaler via la plateforme d’alerte que Ravier veut créer, «et la police sera aussitôt prévenue pour intervenir», assure-t-il. A moins qu’un passant sympa, la voyant dans l’embarras, n’ait déjà prévenu les secours via l’application d’entraide citoyenne que veut monter le candidat LREM, Yvon Berland. Le cas échéant, madame Y pourra se rapprocher d’un des «commissariats mobiles» que Sébastien Barles (EE-LV) veut déployer sur chaque secteur.
Par ailleurs, ce n’était pas dans le scénario, mais pour prévenir les risques d’attentat, Bruno Gilles propose de repenser l’espace public avec mise en place de sculptures monumentales ou de mobilier urbain adapté.
Quoi d’autre dans leur programme ?«Pour ma part, je ne me suis pas posé la question "de gauche ou de droite", c’est plus une question de pragmatisme», explique Samia Ghali pour justifier son programme, que certains jugent «très sécuritaire» pour une candidate de gauche. En effet, à la première lecture, on pourrait le confondre avec celui du RN, les termes «racailles» et «islamistes» en moins.
La sécurité ne semble plus être la chasse gardée de la droite. Chacun y va de sa surenchère en matière d’embauches de policiers municipaux : ils sont 450, et d’ici la fin du mandat, Berland, Ghali et Rubirola veulent doubler les effectifs. Ravier en veut 600 de plus, dont 200 la première année, et souhaite «sortir ceux des bureaux» pour les redéployer sur le terrain. Pour financer son projet, le candidat RN envisage d’économiser 50 millions d’euros de subventions distribués aux associations, notamment «celles à visée électoraliste». Bruno Gilles, lui, veut 1 000 agents supplémentaires, dont 250 la première année. Qui dit mieux ? Vassal, avec 1 500 agents de plus d’ici à 2026, auxquels elle propose d’ajouter des réservistes. Avec les deux candidats de droite, les agents pourront aussi voyager gratuitement en transport en commun et ainsi défendre la veuve et l’orphelin, même sur leur temps de repos.
Pour Barles, ce n’est pas le nombre d’agents qui importe mais plutôt leur formation, notamment aux questions de violences sexistes, racistes et homophobes. Idem pour le Printemps marseillais. Forcément, le RN ne se contente pas des compétences municipales en la matière et promet de «harceler le préfet de police» pour accélérer la lutte contre le trafic de drogue. Avec en prime, pour les épiceries de nuit qu’il soupçonne de blanchir de l’argent, l’envoi des services municipaux «pour voir si tout est aux normes» et, si possible, faire baisser le rideau.
Chacun à sa sauce tente d’impliquer le citoyen : en version délatrice avec les «Voisins vigilants» de Ravier et Ghali, en version «participative» avec l’«application d’entraide citoyenne» chez Berland. Vassal imagine, elle, «un observatoire citoyen de la tranquillité publique» qui ferait chaque mois le point par secteur. Barles et Rubirola misent aussi sur la participation citoyenne, mais plus en amont, afin de co-construire une réponse sécuritaire et éviter le «tout-répressif» : le candidat EE-LV souhaite mettre en place des brigades locales de tranquillité publique et Rubirola envisage un contrat local de sécurité et prévention de la délinquance, ainsi que des assises annuelles autour d’un triptyque «éducation, prévention, sécurisation».
Côté caméras de vidéosurveillance, si Ghali veut «les intensifier», Vassal les quantifie : elle veut en déployer 1 000 de plus pour parvenir à 2 500 caméras actives pour 2026 et souhaite doubler le nombre d’opérateurs. Bien sûr, le RN valide, y ajoutant des caméras mobiles, «mais seulement pour traquer les trafiquants et les racailles. Pas les automobilistes»…
Chez LREM, Berland récupère un atout de poids : Caroline Pozmentier, adjointe LR à la sécurité de la majorité Gaudin, artisane du «big data de la tranquillité publique» qui mêle vidéoprotection dite «intelligente» et récupération de données personnelles. Une stratégie en phase test à l’échelle municipale mais attaquée par deux associations devant le tribunal administratif… Bruno Gilles, lui, prend de la hauteur et prévoit l’utilisation de «ballons de surveillance aérienne».
Côté EE-LV, on demande un moratoire sur un système que Sébastien Barles juge «inefficace». S’il n’est pas contre la vidéoverbalisation, pour lui, il est surtout important «de remettre de l’humain» via des médiateurs.