Des études sur l'efficacité de la vidéosurveillance
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C'est en effet un argument que nous reprenons régulièrement sur l'efficacité de la reconnaissance faciale : dire qu'elle n'est pas acceptable parce qu'elle provoque l'arrestation de beaucoup de noirs qu'elle confond avec des personnes recherchées, c'est valider la technologie lorsqu'elle sera opérationnelle.
Par contre, sur la vidéo-surveillance, il me semble qu'il y a quelque chose de différent : ce n'est pas un problème technologique qui fait qu'elle n'est pas efficace. C'est un problème bien plus profond. Qui se retrouve dans la typologie des crimes qu'on pense pouvoir arrêter avec, dans les croyances associées (les caméras ne courent pas après les délinquants), etc. -
@martin La langue est modifiée, pour que la réalité soit elle aussi, modifiée.
Des preuves "scientifiques" par des "experts" sont avancées aussi dans ce sens là, pour court-circuiter le débat démocratique, qui n'aura pas lieu... -
Je suis d'accord avec vous sur la fait que l'efficacité est un terrain glissant qui sous entend qu'une fois ce problème résolu la caméra sera un "bon" moyen sécuritaire. Si les résultats des études comme celles de Mucchielli sont des arguments intéressants et percutant, ils continuent à ancrer le débat sur le terrain technique de l'efficacité. Et la réponse est vite trouvée --> avec l'évolution technologique on va résoudre les problèmes d'efficacité donc la solution c'est la course en avant. Le rapport au parlement de Mucchielli en 2019, bien que critique, n'a absolument pas modifier la tendance il me semble. Il faudrait peut être essayer de déplacer le débat vers des questions plus politiques et philosophiques de qu'est ce que la sécurité ? et que voulons nous comme sécurité ? Je vous partage un article académique, que je trouve pertinent, et qui aborde ces questions en effectuant une approche critique de la caméra par son unique présence dans l'espace public et non sur le critère de l'efficacité : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2012-2-page-124.htm?contenu=article
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@m59 merci pour l'article, il est intéressant ! J'aime bcp :
"Si la vidéosurveillance peut être qualifiée de mur alors qu’elle a pour objectif de faire circuler, c’est parce qu’elle fait circuler selon l’ordre des choses, selon un ordre normatif puissant [...] Tout en masquant l’enfermement, elle l’engendre. Tout individu qui se sait « anormalement » présent par rapport aux buts affichés d’un lieu se sentira filmé. C’est une barrière mentale de différents ordres : elle délimite sans interdire l’entrée, elle norme sans contrainte physique et pourtant, elle contraint tout dans son champ de vision.
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@m59
Un courant marxiste s'attache à la critique de la sécurité.
On peut trouver une présentation générale de leur théorie sur wikipédia en anglais.
Il y a récemment eu une publication en français :
Christos Boukalas, Mark Neocleous, Claude Serfati. Critique de la sécurité : Accumulation capitaliste et pacification sociale. Eterotopia 2017.
Pour les amateurs, il y a un podcast avec l'éditeur du bouquin dans l'émission sortir du capitalisme. -
Sur le même aspect, celui de la critique sociale et même géographique, j'ai deux articles que je garde sous le coude, ils sont pas tout récents (début des années 2000) mais la vidéo-surveillance n'au qu'augmenté depuis :) Les deux articles viennent de chercheurs en socio-géographie en Suisse.
- Celui ci https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_2004_num_81_4_2427 étudie l'impact socio-territorial des caméras qui se sont multipliées à Genève, un extrait page 640 (telle que marquée sur le papier) :
La vidéosurveillance donne en effet lieu à des transformations profondes des relations sociales au sein de l'espace public qui se basent sur le couple «voir - être vu». La logique de visibilité réciproque des relations sujet-sujet est remplacée par une logique relationnelle unilatérale sujet objet, ou encore institution - individu. L'individu surveillé n'est plus sujet de communication mais devient objet d'information, sans avoir lui-même connaissance de l'observateur. En conséquence, cette nouvelle relation sociale contemporaine entre le surveillant et le surveillé se caractérise avant tout par une inégalité concernant l'information à disposition. Cette asymétrie entre les surveillants et les surveillés s'accentue d'autant plus que la transparence du système de vidéosurveillance et la traçabilité des informations accumulées s'occulte. En outre, le caractère opaque et incontrôlable des gestionnaires des caméras est renforcé par la décentralisation et la privatisation de la surveillance par une multitude d'institutions privées et semi-privées.
Puis plus loin page 644 :
De là découlent des conséquences importantes par rapport à l'accentuation des tendances de hiérarchisation et de fragmentation du territoire. Tandis que les centrantes économiques des villes se renforcent en formant des archipels sécurisés et disciplinés, les périphéries risquent de cumuler plusieurs types de difficultés d'origine sociale.
Et ici ils parlent de deux articles de recherche qui pourraient nous intéresser aussi :
Parfois, des intérêts commerciaux sont explicitement à l'origine des initiatives d'installation de systèmes policiers de vidéosurveillance dans le centre-ville. La pression des lobbies commerciaux a été bien documentée pour la ville de Lyon (Renard, 2001). Le partenariat privé (commercial) - public au niveau de l'installation et de la gestion du système de vidéosurveillance a notamment été analysé pour la ville de Liverpool (Coleman, Sim, 2000).
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Le deuxième article / revue de recherche je l'ai trouvé dans "Vues sur la ville" une revue éditée par un labo recherche de l'université de Lausanne.
- Dans Le numéro 26 de la revue «L'urbanisme sécuritaire : de la ville bunkerisée à la ville passante» on y lit dans le premier article « Urbanisme sécuritaire : de nouvelles frontières qui alimentent le sentiment d’insécurité » on y lit :
Systèmes de vidéo surveillance, éclairages intensifs, clôtures, murs et murets, digicodes, quartiers résidentiels ultrasécurisés, que ce soit dans les grandes villes ou dans certaines villes plus paisibles, qu’il s’agisse d’espaces publics ou privés, ces dispositifs ont tendance à structurer nos espaces et nos modes de vie quotidiens. Étonnamment, l’émergence et la crois-sance de ce type de structures urbaines s’explique dif-ficilement par l’augmentation réelle de la délinquance. Le développement d’espaces sécurisés n’est significati-vement pas corrélé avec l’augmentation d’actes délic-tueux. Ce constat qui n’est pas nouveau, montre bien que le système causal d’émergence de ces formes est complexe. Cela est sans doute du à la complexité des territoires et du phénomène de l’insécurité.
L'article questionne la tendance globale actuelle, mise en place de solutions sécuritaires purement techniques (sans prendre en compte les effets psychologiques, sociaux, urbains, etc) :
La pensée qui continue à dominer la fabrication d’espaces sécurisés reste celle de la prévention situationnelle. Même si des chercheurs tels que Matthew B. Robinson (1996) et C. Ray Jeffery se sont intéressés aux effets psychiques induits par les infrastructures et les espaces sécurisés et que, depuis Jane Jacobs nous parlons du concept de territorialité, ces aspects ne semblent toujours pas être pris en considération lors de la conception de tels aména-gements. Les réponses urbanistiques aux problèmes d’insécurité restent technicistes et radicales. La sécu-rité des villes continue à se produire par un traitement différencié des espaces urbains. Considérés comme la clé de résolution des problèmes d’insécurité, les microformes sécuritaires actuelles, se limitant pour la plupart à des fonctions de frontières physiques plus ou moins hermétiques, induisent des nombreux effets collatéraux sur les sociétés urbaines.
Puis un peu plus loin :
Mais ils ne font que repousser le problème. L’effet psychique recherché est de rassurer les individus. Le succès de ce dernier reste plus discutable.Les conséquences non escomptées de ces formes sont plus nombreuses que leurs effets souhaités. Et, paradoxalement, celles-ci ont des effets pour la plupart négatifs sur les territoires. Ceux qui ressortent le plus souvent sont les suivants :- Le mitage du territoire. Les formes urbanistiques de type sécuritaires sont exclusives. Elles engendrent une marginalisation crois-sante de certaines franges de la population (en particu-lier les pauvres et les jeunes) perçues comme vecteurs de l’insécurité.
- Restructuration des tissus urbains.La ville se restructure en archipels d’espaces hermé-tiques. Ces pratiques urbanistiques forment une nou-velle structure de l’espace organisé en deux réseaux urbains qui se superposent mais qui ne se côtoient pas. Un réseau d’espaces sécurisés exclusifs et un réseaux des territoires des exclus.
- Emérgence de nouvelles marginalités.Nous voyons alors émerger des nouvelles marges. Les aménagements sécuritaires tels qu’ils sont conçus dans les villes contemporaines sont à l’origine de l’émergence de nouveaux espaces marginalisés. En effet, l’éclairage crée des ombres et des pénombres, les caméras des angles morts et les barrières phy-siques des dehors. Ceux-ci peuvent devenirs des espaces propices à la criminalité. Les dispositifs actuels ne font que déplacer les problèmes d’insé-curité
En conclusion on lit :
Enfin, si c’est véritablement de sécurtité qu’il s’agit, les acteurs de la production du territoire doivent réfléchir à des formes sécurisantes inclusives, basées sur des principes de visibilité, d’accessibilité, de terri-torialité, d’attractivité, de mixité et de qualité urbaine. Il est du ressort de ceux qui font la ville de préserver l’urbanité pour l’ensemble des habitants.Il semble inévitable que les méthodes de sécuri-sation des espaces ne peuvent plus se concevoir sans l’intégration et la coordination des politiques publiques. Il également primordial de commencer à sensibiliser les autorités, les architectes, les urbanistes, les promoteurs et d’autres acteurs de l’espace urbain aux conséquences négatives que des telles formes peuvent causer.
Le deuxième article de cette revue est une étude spatio-temporelle concrète du sentiment d'insécurité dans 5 villes suisses, on y voit les critiques faites dans le premier article ici plus haut se dessiner sur des cartes : le sentiment d'insécurité se déplace clairement du centre ville vers les périphéries avec le temps. Or, dit l'article, «l'indicateur des incivilités lui ne révèle pas du tout des tendances spatiales aussi claires». Le sentiment d'insécurité et les incivilités ne sont donc pas corrélées.
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Le numéro 29, année 2012 de «Vues sur la ville» parle «De l'illusion sécuritaire à la ville sûre», requestionne encore l'urbanisme sécuritaire actuellement déployé :
Les postulats de J. Jacobs sont à l’origine du principe de prévention situationnelle qui est aujourd’hui à la base de l’urbanisme sécuritaire. L’ouvrage « Espace défen-dable » d’Oscar Newman (1973) est un manifeste de cette méthode. Le problème est que cette liste de « bonnes » pratiques reste purement techniciste. Les principes de J. Jacobs sont malheuresement réduits au simple traitement de la voirie par des infrastuctures plus robustes. Cette straté-gie serait sensée disuader les malveillants de commettre des actes délictueux. Afin de rendre les villes plus sûres, il est impératif de revenir sur les principes de mixité, d’accessibilité, de lisibilité et de territorialité.
On y parle encore du fait que la présence de caméras ne reduit pas la criminalité, mais la déplace :
La vidéosurveillance est relativement effi-cace pour enregistrer et éclaircir des crimes, surtout lorsque des caméras sont utilisées dans des périmètres res-treints comme les trains, les bus, les bâti-ments, etc. Cependant, un vaste corpus de recherches empiriques suggère que les effets préventifs des caméras sur la criminalité doivent être interprétés de façon beaucoup plus critique (Welsh et Farrington, 2002 ; Gill et Sprigg, 2005). Il apparaît surtout que la propension des caméras à dissuader les individus de s’adonner à des actes criminels diminue au fil du temps. En effet, les délinquants s’habituent aux caméras, et finissent même par les oublier. Comme Gill et Spriggs le relèvent, « la conclusion la plus évidente à tirer des analyses des systèmes de vidéosurveillance est qu’il s’agit d’outils inefficaces pour réduire les taux de criminalité » (Gill et Spriggs, 2005 : 61, ma traduction).Ce constat est largement confirmé par des études portant sur la question de la perception de la vidéosurveillance par les usagers des espaces surveillés. Ces études soulignent les effets limités des caméras pour améliorer le senti-ment de sécurité de la population à long terme et donc pour revitaliser durable-ment des zones urbaines rencontrant des problèmes particuliers.
En conclusion on lit :
En définitive, ces stratégies rappellent avant tout un des principaux problèmes associés à la vidéosurveillance : en délégant la régulation d’un espace à des systèmes et à des individus qui en sont séparés phy-siquement, la vidéosurveillance risque en effet de nuire à la volonté de mieux intégrer la société civile dans des pratiques sécu-ritaires « de proximité ». Or, les mesures de contrôle et de régulation à distance tendent au contraire à exacerber l’opposi-tion entre les surveillants et les surveillés. Il importe ainsi grandement de discuter de manière critique les choix budgétaires actuels en matière de sécurité urbaine, tant ceux-ci privilégient souvent les mesures technologiques au détriment des mesures humaines
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La vidéosurveillance aide-t-elle à élucider des enquêtes ? Guillaume Gormand, docteur en administration publique, a souhaité répondre à cette question dans une étude commandée par le CREOGN et présentée ce jeudi à Paris à l’occasion d’un atelier de recherche de la gendarmerie. L’enseignant à Sciences Po Grenoble a évalué des systèmes de vidéosurveillance de quatre territoires de la métropole grenobloise, en lien avec des gendarmes de l’Isère. Résultat : sur 1 939 cas étudiés, 22 enquêtes élucidées ont bénéficié du concours d’images de caméras, soit 1,1 % des cas du panel.
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Cette dernière étude de la gendarmerie citée plus haut par @Envy dont on peut lire un résumé ici : https://www.lagazettedescommunes.com/792033/quelle-est-lutilite-reelle-de-la-videoprotection-dans-lelucidation-des-enquetes/ parle d'une efficacité très faible :
Les enregistrements de vidéoprotection contribuent à la résolution d’enquêtes judiciaires, en apportant des indices ou des preuves, mais dans des proportions particulièrement ténues, explique le chercheur. Cela représente une part de 1,13 % sur l’ensemble du corpus d’enquêtes judiciaires observées ou, en ne retenant que les affaires élucidées, une proportion de 5,87 %. »
Puis le taux encore plus faible pour les violences à la personne (ce qui est intéréssant à noter car on nous parle de plsu en plus du fait que les caméras vont protéger les femmes ou autres populations vulnérables, des violences de rues ) :
Il apparaît que la vidéosurveillance semble plus utile pour les atteintes aux véhicules, même si les niveaux restent très faibles. Nous avons, en effet, trouvé que les enregistrements vidéos avaient fourni des preuves dans 6,7 % des enquêtes élucidées. Cela semble logique puisque ce sont des infractions qui ont lieu dans l’espace public et qui sont donc facilement identifiables. A l’opposé, on note que les caméras servent très peu pour les faits de violences aux personnes. Elles ont apporté des preuves pour seulement 2,8 % des enquêtes élucidées sur cette thématique.
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Pour que ce fil soit le plus complet possible, je rappelle ici ce post du forum qui parle du rapport de la cour des comptes fin 2020 qui pointait :
Au vu des constats locaux réultant de l’analyse de l’échantillon de la présente enquête, aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation.
Cette étude pointait également le manque d'analyse/ étude préalable à la mise en place des systèmes de vidéosurveillance qui montrent l’intérêt ou le besoin de la mise en place de ces systèmes. Donc pour résumer le rapport point le manque d'étude préalable sur le besoin, puis le manque d'étude post mise en place quant à leur efficacité. Depuis on a eu l'étude de la gendarmerie citée juste au dessus qui elle montre des chiffres d'efficacité très bas.
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Pour compléter ce fil encore, ce rapport de l'institut Paris Région qui date de 2008 qui se nomme : "Vidéosurveillance et espaces publics : État des lieux des évaluations menées en France et à l'étranger" reste très intéressant malgré qu'il date un peu, car repertorie et synthétise l'ensemble des études étrangères (Angleterre, Etats-Unis, Suisse ...) montrant les effets de bords de la vidéo-surveillance dont on a pas mal parlé dans ce fil : déplacement de la délinquance, effet de dissuasion très temporaire, accentuation des inégalités sociales des quartiers populaires / quartiers riches, faible taux d'efficacité réelle, etc.